Tirage gélatino-bromure d’argent émulsionné, photo anonyme de Samuel Beckett imprimée et collée sur un plancher métallique récupéré. Rocher de rivière, dalles de pierre curieusement cassées et violoncelle readymade ceint par un bandage médical, cheveux artificiels, deux ancres et deux petits bateaux anciens en bois trouvés dans des salons d’antiquaires, inscription de néon.
À l’origine, il y a cette photo, anonyme, de Samuel Beckett, le visage tourné vers le photographe, en train de traverser ce qui semble être un maigre ruisseau, figé dans une petite barque aux allures de cercueil flottant. Puis, plus tard, la découverte par Gao Bo chez un antiquaire chinois d’une série d’une vingtaine de petites barques anciennes qu’il achète, en plus de quelques ancres, avec le pressentiment qu’il existe un lien entre ces objets et la photographie anonyme de Beckett. C’est en relisant En attendant Godotplus tard encore, que les dernières répliques et la didascalie finale de la pièce
– Alors, on y va ?
– Allons-y !
Ils ne bougent pas
Faisant écho à la photographie, enclencheront la réalisation de l’installation Beckett – Faramita Laostist. Pensée comme un mausolée à la mémoire de Beckett, l’œuvre mêle notamment la photographie en question, quelques barques et autant d’ancres, des dalles de pierre imprimées de portraits et d’extraits d’archives de l’écrivain, un violoncelle représentant le corps d’une femme, et deux néons portant chacun l’inscription “l’autre rive”. Tout en rendant hommage à l’un de ses maîtres, Gao Bo propose une réflexion autour de la mort, pensée comme l’éternelle traversée d’une rive à l’autre de la vie, un mouvement perpétuel alternant création et destruction. Au centre de l’œuvre, la figure de la muse blessée, représentée par le violoncelle enserré de bandes de gaze, témoigne du processus créatif de l’artiste, de ce qu’il nomme lui-même la “période noire” de son travail : à travers ses œuvres, Gao Bo se confronte à la mort, comme une stratégie de survie, un moyen de renaître à soi.
« Séjour où des corps perdus rôdent,
chacun cherchant son propre corps perdu »
Samuel Beckett, Le Dépeupleur [The Lost Ones].
« Dans, ‘Beckett – Faramita Laostist 裸思者的彼岸’ (2010), nous faisons l’expérience de Beckett en tant que “Beckett” ; le Nom Propre comme référent culturel dans lequel est englobé le retentissement de son œuvre, comme un moi perdu, dépeuplé, comme une unicité et un isolement existentiels, une “déréliction”, un “être-jeté-dans-le-monde” existentiel, mais aussi comme autant de dilemmes moraux dans un monde post-fondamental : posant les questions : d’où provient la valeur, d’où provient la morale ? Infondées, mais nécessaires. Déduites dans l’art. (Depuis le romantisme qui offre l’art comme une source ou une interprétation de la valeur dans le monde – à la fois comme symptôme et comme diagnostic, comme source alternative du sacré). Une “déréliction”, un “être-jeté-dans-le- monde” collectivement applicable à nous-mêmes en tant qu’espèce (comme dans la nouvelle de Beckett, Le Dépeupleur). Nous nous sommes retrouvés en tant que perdus ; sommes par conséquent prêts à nous retrouver de nouveau nous-mêmes, à réinventer des valeurs – à découvrir (à affirmer) des valeurs au sein desquelles il ne nous est plus possible de soutenir des croyances... »
Dr. Peter Nesteruk, 2016